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Réalité virtuelle, Oculus, Morpheus, cardboard, etc. Quelles implications dans le champ audiovisuel ?

réalité virtuelle

 

ces 2 photographies: oculusvr.com

Depuis quelques mois, une nouveauté technologique fait bruisser de plaisir de nombreux chroniqueurs, testeurs et développeurs. Une espèce de gros masque de ski muni de deux surfaces de projection : l’Oculus Rift.

Pourquoi vous en parler aujourd’hui alors que depuis déjà une vingtaine d’années, on nous promet une réalité virtuelle immersive et que les différents appareils censés nous y plonger sont aussi chers qu’inaboutis et donc inefficaces ?

Et bien parce qu’aujourd’hui, ce masque soulève l’enthousiasme et nous promet que « enfin, ça y est », la réalité virtuelle est réellement à notre porte.

Pour voir à quoi ressemble le prototype, vous pouvez googler « oculus rift » ou découvrir un test video du kit en français. À noter que Sony développe aussi un casque nommé Morpheus.

Outre la prouesse technique, notre intérêt aujourd’hui est de réfléchir à l’impact d’un tel gadget sur l’audiovisuel, ainsi que sur nos expériences personnelles et collectives dans ce nouveau monde que l’on appelle encore « réalité virtuelle ». Précisons qu’il ne faut pas confondre « réalité virtuelle » (tout est faux) avec « réalité augmentée » (une couche d’infos superposée à la réalité), une expérience qui nous est déjà accessible via nos smartphones et qui peine quelque peu à nous apporter une plus-value significative au sein de nos interactions humaines.

À en croire ceux qui l’ont testé, il en est tout à fait autrement avec l’Occulus Rift : au premier abord la sensation de plonger ainsi avec nos sens (la vue, l’ouïe ) dans un nouveau monde totalement désincarné est forte, voire dérangeante.

Ainsi, si un tel gadget se retrouve sous notre sapin de Noël dès 2015 ou 2016, que peut-on attendre comme évolution dans la sphère de l’audiovisuel ?

Certains comparent déjà cette situation à celle de la fin du XIXe siècle, lorsque le premier film des frères Lumière « L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat » a été projeté pour le grand public. Cet événement marqua le basculement dans l’ère de la narration cinématographique.

Actuellement, lorsque l’on regarde un spectacle ou un film, on reçoit les images, le son et le récit de manière collective. Même si l’on est seul face à l’écran, on peut dire qu’on regarde un programme qui a été conçu pour être montré dans un seul sens : de la source vers le spectateur. Avec la réalité virtuelle, le « spectateur » est « dans » le film, c’est-à-dire que l’on a la sensation d’être véritablement dans la scène. Le spectacle aura toujours une source (l’équipe de réalisation) mais devra tenir compte de votre « présence » en tant que spectateur dans le décor et la narration envisagée. Sans doute, dans un second temps pourra-t-on envisager la présence d’un groupe de spectateurs également et, selon les mondes immersifs mis à disposition, de scénarios décrivant des interactions entre spectateurs comme cela se fait déjà dans les jeux vidéos.

Si l’on remonte à Aristote, on peut reprendre son analyse toujours valable qui dit que l’on se raconte des histoires pour donner un sens au monde, pour contrôler nos pulsions.

Prenons le récit chrétien contenu dans la Bible, un grand classique. Il contient des personnages auxquels on peut s’identifier (Jésus, Judas, Cain, Abel, etc..). On pratique donc via cette identification ce qu’ Aristote nommait la mimesis. Traditionnellement donc, quand on raconte une histoire, on y met des personnages qui doivent résoudre des dilemmes moraux et on insère des images fortes pour marquer notre imaginaire (typiquement l’image de Jésus, nu sur la croix en bois avec du sang et des épines). C’est une image qui a supporté de nombreuses interprétations depuis sa création et si répugnante qu’elle puisse être de prime abord, on l’accepte pour ce qu’elle est : une représentation servant à alimenter notre réflexion. La doxa catholique nous poussant au travers de cette répétition de crucifix à accepter et dépasser (la catharsis) notre violence « naturelle » : tuer Jésus, dieu nous pardonne et Jésus renait.

Cette histoire et toutes les autres d’ailleurs se basent sur le pari que les histoires et les images contées nous libèrent de leur objet ; qu’une image violente peut nous libérer de la violence, que l’histoire du loup peut nous aider à surmonter nos peurs, …. C’est la catharsis.

Malheureusement on s’habitue à ces représentations et à ces histoires. Leur efficacité s’amenuise au fil du temps. Plus il y a d’innovations technologiques, plus on se désensibilise et moins la catharsis est efficiente. Par contre, on veut toujours des histoires. Actuellement, via les réseaux sociaux, on pourrait dire qu’une étape a été franchie et que l’on se met NOUS, directement en scène, en image dans les histoires que l’on se raconte.

Avec la réalité augmentée et les écrans-lentilles collés sur les yeux, il n’y a plus d’éléments contextuels perturbateurs entre nous et le récit : les images nous sont projetées de l’intérieur, on fait réellement partie de l’image, du récit. Et ce récit est en nous tout comme, sans appareil, l’image de la « réalité » est en nous, dans notre cerveau qui la construit continuellement. Le rapport à l’espace sera modifié et la perception du temps en sera également changée. Se « faire un film » ou un jeu vidéo devrait être une expérience plus physique, il y aura peut-être des épisodes déconseillés aux personnes asthmatiques ou diabétiques…

Une expérience récente interrogeait 158 spectateurs curieux (« early adopters ») et les plaçait dans le rôle du producteur des histoires de demain. Le but était de faire ressortir leurs envies par rapport à leur expérience de spectateur.

L’étude résume les réponses des participants à 4 « I » :

  • Immersion
  • Interaction
  • Intégration
  • Impact

(Immersion and interactivity primarily help an audience to go deeper into a story, while integration and impact are about bringing a story of out of the screen, into our actual lives. http://latd.com/2012/08/15/what-audiences-want-study-uncovers-possible-futures-for-storytelling/ )

Les implications personnelles

Les possibilités de ressenti physique au sein de l’histoire s’en trouvent décuplées (par exemple, quand l’acteur allumera une cigarette dans l’ascenseur où l’on se trouve également, en ressentirons-nous le picotement ?). Comment vont suivre nos sens et notre cerveau ? ( Retour au test video du kit en français : allez voir vers la onzième minute à quel point les testeurs sont déstabilisés dans leurs sensations physiques).

Cette catharsis, cette interprétation personnelle qui est en jeu dans les histoires, comment va-t-elle se mettre en place dans le nouveau récit immersif ? Et comment construirons-nous ce dernier ? Le « dosage » actuellement expérimenté dans notre société de l’image entre la catharsis morale (les principes qui agitent le héros) et la catharsis physique (les images qui représentent l’expérience à dépasser) seront-elles encore présentes dans les mêmes proportions ? Ne verra-t-on pas l’expérience physique poussée plus loin ? On peut imaginer que les acteurs devront jouer en tenant compte de notre « présence » dans la scène, que les grands et longs mouvements de caméra fixée sur une grue nous donneront mal au cœur, que les plans-séquences seront rallongés pour permettre au spectateur de faire le tour de la scène, etc.

Et du point de vue du montage, comment vivrons-nous les cuts rapides, les flashs blancs, les incrustations ? Il est probable que la grammaire audiovisuelle sera grandement bouleversée également sur le banc de montage. Certains professionnels de l’image n’hésitent pas à comparer cette venue annoncée de la réalité virtuelle au passage du film muet au parlant, une révolution qui posera bien des défis aux nouveaux acteurs de cette industrie (c’est l’intrigue du film The Artist avec Jean Dujardin).

Ciné, jeux, apprentissage : interactions et sensations collectives en perspectives

Avec un pas de plus vers l’incarnation d’un personnage dans le cinéma, on se rapproche de la sphère du jeu vidéo au sein duquel on incarne souvent un héros-acteur-avatar. L’occulus rift a d’abord été pensé comme une interface pour le jeu vidéo. C’est bien sûr dans ce domaine que l’expérience immersive sera la plus vite ressentie. De nombreuses entreprises y croient et se sont d’ores et déjà consacrées principalement au développement de jeu et d’application pour l’Oculus.

D’autres domaines emboîtent le pas : les musées (ici une modeste galerie d’art), les historiens (la démo Battle of Zarnowitz), les enseignants (la démo Riftbench vous permet de travailler sur des circuits imprimés), les agents immobiliers (archvirtual) et même les sites internet en html (world of reddit) que l’on visiterait dorénavant d’une toute autre manière.

Mais revenons au cinéma et aux possibilités qu’offre la promesse d’une réalité virtuelle efficace.

Tout d’abord, voir un simple film sur l’appareil procure l’effet d’un écran vraiment géant (des applications telle que VR player le permettent déjà).

Afin de ne pas rester seul spectateur, joignez-vous à d’autres visionneurs, rendez-vous dans une salle virtuelle telle que RiftMaxTheater ou YouTubePlaza.

Enfin, la nature même de la réalité virtuelle (être directement à l’intérieur de l’environnement virtuel, ici le film), ouvre de nombreuses possibilités cinématographiques inadaptées à un écran plat. Par exemple, la possibilité de pouvoir regarder le film sous n’importe quel angle de vue intéresse beaucoup de monde à en juger par le nombre de projets en rapport : Making Viewer VR: Formula 1, Zero point ou encore la Panocam. Pour aller plus loin, imaginez qu’il soit un jour possible de s’éloigner de l’action principale, pour aller voir ce qu’il se passe ailleurs (par exemple dans le camp adverse), au même moment. Ca serait très sympa, mais ça demanderait beaucoup d’écriture de scénario supplémentaire !

On pourrait également penser à tous les incroyables décors qui sont créés pour réaliser des blockbusters tels que « pirates de caraïbes ». L’utilisation de dispositifs immersifs tels que le masque Oculus Rift pourrait nous en rendre la visite et même l’usage accessible après le tournage. Que diriez-vous de vous promener sur le pont du navire de Jack Sparrow ? Vous pourriez vous balancer d’une corde à l’autre au rythme des caméras installées dessus. Ainsi, les plateaux de tournage de films déjà réalisés pourraient-être recyclés, ré-équipés en capteurs et caméras et mis à la disposition des fans pour visiter, rejouer les scènes du film… Une idée parmi tant d’autres, inspirée par la vision de ce reportage où l’on voit une journaliste de la BBC commander une grue à distance.

Si l’on contrôle une grue, on peut contrôler une caméra à distance. En poussant le concept plus loin, on pourrait encore imaginer créer un studio automatisé à la disposition de candidats-réalisateurs qui souhaiteraient filmer une scène à distance. Imaginez que vous ayez la possibilité d’être derrière la caméra de Georges Lucas lorsque l’on rejoue la scène du combat entre Dark Vador et son fils. La filmeriez-vous de la même manière ? Tenteriez-vous un autre mouvement de caméra, un gros plan évocateur ? Pourra-t-on prendre la place du réalisateur ?

Tout comme l’illustre la BBC dans un récent article, les possibilités sont encore innombrables et un véritable démarrage de la réalité virtuelle pourrait changer beaucoup de choses dans le monde ; en particulier parce que cela changera la façon dont nous créons et recevons les histoires et les récits et parce que cela ouvre de larges perspectives sur l’interaction dans ces derniers et entre nous, citoyens connectés.

Et si l’appareil Oculus Rift (qui a été récemment acheté par Facebook) n’atterrit pas tout de suite sous votre sapin, la réflexion quand à votre réalité virtuelle ne souffre pas d’excuse pécuniaire. Pour y faire une entrée en douceur à l’aide de votre smartphone, Google à pensé à vous avec un dispositif des plus abordables : cardboard.

Un nouveau monde entièrement virtuel s’offre à nous. Qu’y verrons-nous ? Qu’en ferons-nous ?